Histoire du Musée des Moulages

Histoire du Musée des Moulages

Le musée des moulages de l’hôpital Saint-Louis est le lieu de mémoire principal de l’Ecole française de dermatologie. Son histoire est riche du souvenir des Maîtres de la dermatologie française du XIXème siècle.

Un musée dermatologique

Moulage

Moulage
Crédit : Anais Da Vitoria

L’histoire de l’iconographie dermatologique qui fait souvent peu de cas de l’identité des artistes, peintres, graveurs, aquarellistes, dessinateurs fait en revanche émerger les noms des médecins commanditaires. C’est ainsi que le nom de Devergie (1798 -1879) fut un des plus présents dans la conception d’un musée d’images des maladies de la peau.
Dans les premiers mois de 1866, Alphonse Devergie, médecin – chef de service de l’hôpital Saint-Louis fit don à l’Assistance publique (AP) d’une collection d’aquarelles qu’il avait fait réaliser et encadrer à ses frais. Husson, directeur de l’AP, décida d’exposer les aquarelles et donna au directeur de Saint-Louis les instructions nécessaires à l’organisation du musée. « L’intérêt qu’il y a à conserver réunis les moulages et les dessins m’avait porté à rechercher, à la demande de plusieurs Médecins de l’hôpital Saint-Louis, les moyens d’assurer à cette collection naissante un emplacement suffisant. La pensée m’est venue de former dès à présent un musée pathologique. « . La collection du premier musée de Saint-Louis, ouvert le 25 avril 1867, se composait outre les aquarelles de Devergie et de Bazin (1807-1878) médecin de Saint-Louis, de quelques photographies très récemment réalisées. Réalisées en 1867, c’est en effet en 1868 que furent publiées les premières photographies françaises de maladies de la peau. Alfred Hardy, chef de service à Saint-Louis assisté de Montméja, chef de clinique ophtalmologique présentèrent en effet cette année-là la « Clinique photographique de l’hôpital Saint-Louis », recueil de photographies coloriées à la main.
A ces documents s’ajoutaient encore quelques moulages donnés par Lailler (1822-1893) et des aquarelles, En effet, comme ses collègues, Charles Lailler, chef de service à l’hôpital Saint-Louis, eut le souci dès son arrivée dans cet hôpital de perfectionner les méthodes de reproduction des maladies de la peau et chercha très tôt à faire réaliser des moulages Il porta d’abord son attention vers des pièces en carton pâte. Cependant celles-ci ne résistaient pas à l’épreuve du temps, noircissaient et étaient assez fragiles. Il abandonna donc cette technique et recherchant un autre procédé, il rencontra Jules Baretta (1833-1923) , jeune fabricant de fruits en carton pâte du passage Jouffroy. Séduit par la qualité des reproductions de Baretta, Lailler lui proposa de venir à Saint-Louis et de prendre en charge la reproduction des maladies de la peau par les moulages. Baretta abandonna alors son commerce et vint à Saint-Louis en 1863, mettre au point la technique de fabrication des moulages qui allait le rendre célèbre dans la communauté dermatologique internationale. Baretta, réalisa son premier moulage en 1867 fut nommé conservateur du musée de l’hôpital Saint-Louis en 1884 et fut l’artisan à lui seul jusqu’en 1913, d’environ 3500 pièces.Sous la pression des médecins de Saint-Louis, désireux de donner à leur Musée un local digne de la richesse de ses collections, l’Assistance publique commença en 1874 à étudier la possibilité de construire un bâtiment spécifique. En août 1877, ce programme parvint au Conseil municipal de Paris, sous forme d’un rapport du docteur Bourneville (1840-1909), médecin de l’hospice de Bicêtre et Conseiller municipal.

Le musée des moulages et la bibliothèque médicale de l’hôpital Saint-Louis, lieux de prestige et d’enseignement

Mezza 2

Vitrines du musée
Crédit : AnaÏs Da Vitoria

L’intervention de Bourneville fut déterminante pour transformer une collection confidentielle en un musée spacieux, fonctionnel et richement aménagé.
C’est en effet selon les indications de Bourneville que furent rédigés les grandes lignes du projet définitif de « construction (…) d’un bâtiment destiné à une salle d’attente des bains externes, à un service complet de consultations, à un musée, à une bibliothèque et à une salle de conférences. (…) Le premier étage de ce bâtiment renfermera : une vaste salle destinée au musée pathologique et disposée de manière à recevoir dans sa hauteur une double rangée de vitrines auxquelles on accédera par une galerie intérieure (…). Une bibliothèque, des salles de travail et de conférences occuperont le reste de cet étage. Enfin, dans les combles se trouvera un atelier de modelage »

L’ouvrage fut reçu par l’administration le 5 février 1885 et inauguré officiellement le 5 août 1889 dans le cadre du Premier Congrès International de Dermatologie, organisé au musée de Saint-Louis.
La tenue de l’Exposition Universelle commémorant le Centenaire de la Révolution Française se prêtait en effet à l’organisation d’un tel congrès et les dermatologues français ne pouvaient rester en marge de cette atmosphère de glorification du progrès scientifique et de fraternité internationale. Ils accueillirent ainsi plus de 200 collègues de 29 pays. L’opération de restauration de l’influence internationale de la dermatologie française entreprise à la fin des années 1860 trouva ici une apothéose médiatique : rassemblement de nations, réunions de dermatologues français, discussions nombreuses sur des thèmes scientifiques d’actualité et mise en lumière du musée des moulages et de la bibliothèque médicale de l’hôpital Saint-Louis.
Les moulages, objets de décoration et d’instruction, présentaient en effet un attrait tout particulier et de fait, aucune des collections de cires dermatologiques précédemment créées n’offrait une telle abondance de pièces.
Jules Baretta

Portrait de Jules Baretta

Bien qu’il n’existe que peu de témoignages de l’impression produite sur les congressistes par les quelque 2000 moulages déjà réalisés par Baretta, il n’est pas déraisonnable d’imaginer leur étonnement mêlé d’admiration. L’attitude de Moriz Kaposi, chef de l’école dermatologique de Vienne qui décida à son retour dans la capitale autrichienne de développer une collection de cires, illustre l’impact médiatique de la collection de Saint-Louis. On notera d’ailleurs que Baretta contribua à enrichir les collections des musées de cires dermatologiques de Lyon, Londres, Boston et Philadelphie.
A la manière d’un museum d’histoire naturelle, 162 vitrines, disposées sur deux rangées superposées, occupaient -et occupent encore- les quatre côtés du musée, grande salle rectangulaire de plus de 400 mètres carrés avec un éclairage zénithal, plus adapté à l’exposition des peintures et en fait peu propice à l’observation des moulages. On accède aux vitrines supérieures par quatre escaliers à vis en chêne.
Les moulages sont présentés selon l’ordre alphabétique des maladies. Cette question de classification n’est pas indifférente. Il s’agissait en effet, on l’a vu, d’un musée d’enseignement et par le choix d’un classement non médical, aléatoire, les médecins de Saint-Louis donnèrent au musée une double signification: d’une part rendre la collection directement accessible à tout étudiant même débutant en dermatologie et d’autre part signifier la rupture qu’ils entendaient imposer avec le dogmatisme classificateur hérité du XVIIIème, de leurs prédécesseurs.

Le musée aujourd’hui

Sièges 1

Vue d’ensemble du musée
Crédit : AnaÏs Da Vitoria

La collection des moulages dont le catalogue fut régulièrement mis à jour (en 1889, 1900, 1922 et 1992) est faite de 4807 pièces réparties en 4 sous-collections : la collection générale, la plus importante quantitativement, consacrée aux maladies de la peau et à la syphilis comprend 3662 numéros, la collection Péan dont les 615 moulages réalisés par Baretta furent donnés au musée par Mme Vve Péan, la collection Parrot, constituée de 88 moulages de pédiatrie réalisés par Jumelin à la demande de Parrot (1829-1883) et la collection Fournier comprenant 442 moulages de syphilis réalisés à l’hôpital de Lourcine par Jumelin puis à Saint-Louis par Baretta. Depuis 1992, la collection et les vitrines qui la contiennent sont classées à l’inventaire des Monuments Historiques.
Aujourd’hui, le musée des moulages de l’hôpital Saint-Louis occupe une place particulière au sein des collections des moulages dermatologiques et des musées des hôpitaux de l’Assistance publique à Paris. Il contient en effet la plus importante collection de cires dermatologiques du monde et il est le seul musée hospitalier parisien visible aujourd’hui dans son état originel.

Aujourd’hui la fonction de la collection n’est plus de nature pédagogique et les visiteurs sont plus fréquemment des paramédicaux qui trouvent au musée de quoi satisfaire leur goût pour l’histoire et la culture hospitalière que des étudiants en médecine cherchant à apprendre la dermatologie. La visite des profanes est quant à elle réglementée par le contenu du musée qu’impose le souvenir des malades. L’ouverture au grand public le temps d’éphémères Journées du Patrimoine à l’automne 1993 fut un événement dans l’histoire du musée qui permit de recueillir les témoignages de très nombreux visiteurs. La curiosité nostalgique qui serait à la base même de la notion de musée se mêle à l’attirance morbide et au goût de l’étrange que procure la contemplation de ces fragments de corps et visages, à la peau souffrante mais aux traits si réguliers qu’ils semblent sur le point d’ouvrir les yeux.
Au-delà de ces considérations, il reste que le musée de Saint-Louis est un témoin privilégié d’une certaine forme d’enseignement de la médecine. Il témoigne encore avec force de l’histoire de la médecine hospitalière et de l’histoire de la dermatologie française dont il représente un haut lieu culturel.